Pourquoi écrire chaque jour ?
Qui aurait l'idée d'écrire chaque jour s'il n'était poussé par la nécessité de le faire ?
Que d'aucuns, dont c'est le métier, s'astreignent à aligner mots et phrases pendant leurs heures de bureau, parce qu'ils sont payés pour cela, me semble aussi logique que le fait pour un balayeur de balayer et pour un fabricant de voitures de fabriquer des voitures: il est des métiers pour lesquels il faut écrire chaque jour
parce que c'est stipulé sur un contrat de travail, et voilà. Le week-end, exit la corvée d'écriture, on reprendra le collier, et le clavier, Lundi.
En revanche, que des êtres humains (a priori normalement constitués), après une journée de travail plus ou moins enrichissante
, (de balayage, de fabrication de voitures ou que sais-je), s'échinent à enfanter des textes que personne ne leur a demandé d'écrire
, sur un sujet que personne ne leur a imposé
, pour un résultat qu'eux-mêmes trouveront une fois sur deux absolument au-dessous de tout, et provoquant, (si tant est que l'auteur ait suffisamment peu honte du ridicule pour oser présenter son "oeuvre" (...) à son entourage), franches rigolades et demi-compliments hypocrites, réponses négatives stéréotypées des rares maisons d'édition
ayant eu la politesse de se rendre compte qu'on leur avait envoyé le nouveau chef-d'oeuvre inconnu du millénaire, baisse d'estime de soi de l'écrivain maudit et retour hystérique à une vie parfaitement normale, investissement à 200% dans la routine quotidienne, que l'on déteste tant que l'on est un-grand-romancier-dévoré-par-le-feu-divin-de-la-création-littéraire mais qui, une fois le grand romancier persuadé d'être finalement un pauvre naze, devient étrangement réconfortante.
Compte tenu de la longueur de la phrase précédente, vous aurez compris que les arguments justifiant la question: "Non mais, sérieusement, pourquoi écrire quotidiennement si on n'y est pas absolument forcé ???!!!"
, ne manquent pas.
Alors? Alors, le fait d'écrire chaque jour me semble bon pour:
- apprendre à regarder: comprendre que l'événement le plus banal peut être le prétexte à un texte original
, déroutant, émouvant, drôle, triste, effrayant... Écrivons chaque jour à propos du "bonjour! " de la boulangère ou de la promenade que nous avons faite avec notre chien et nous comprendrons qu'il n'est pas nécessaire d'attendre la divine inspiration ou l'idée géniale pour écrire un bon texte
. La vie suffit.
- apprendre à écrire: relisons le lendemain ce que nous avons écrit la veille et pensons à la manière dont nous pourrions le réécrire pour que ce soit encore meilleur. Barrons, effaçons, reprenons-nous
sans vergogne pour arriver à un résultat dont nous puissions être fiers. Oups, le grand mot! Car si un pianiste ne peut viser l'excellence qu'au prix de gammes faites et refaites au fil des heures, des jours et des années,
pourquoi nous, qui aimerions bien être reconnus comme de bons écrivains, pourrions-nous nous passer de nous entraîner? Et si l'on accepte de bonne grâce la fierté du pianiste virtuose
parce que l'on sait qu'elle résulte d'heures de labeur et d'années de remise en questions, qui pourrait moquer la nôtre, à nous qui écrivons chaque jour, semaines après semaines, années après années, et réécrivons, et façonnons de nouveau, et 100 fois, sur le métier, remettons notre ouvrage?
- apprendre à dire: trouver un seul mot qui puisse remplacer toute une phrase; faire parler ses personnages comme de vrais êtres humains, des entités individuelles, le fruit d'histoires diverses et pas les stéréotypes du best-seller du moment
; savoir faire causer un chat, entendre cogiter une lampe de chevet, ressusciter les morts dans un dialogue:
cela, pas moyen d'y parvenir sans s'y essayer avec acharnement et persévérance, par à-coups d'essais et d'échecs. Le seul apte à juger de la crédibilité du monologue de votre table basse, c'est vous, parce que, a priori, il n'y a que vous qui l'ayez entendue papoter: donc, réécrivez jusqu'à ce que vous soyez convaincu du bien-fondé de votre prose parce que, sur ce point précis, personne ne peut vous aider.
- apprendre à lire: relisez vos auteurs de prédilection
à l'aune de vos propres heures d'écriture, essayez de deviner combien de jours et de feuillets déchirés, de crises de larmes et de bouffées d'orgueil leur a demandé telle ou telle phrase que vous trouvez si belle et qui, en effet, est tellement parfaite qu'elle semble être le fruit du hasard, une fleur éclose par la Grâce de Dieu seul:
en fait, écrire, mais, plus encore, bien écrire, c'est beaucoup de travail...
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