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vendredi 3 mai 2013

Lettre d'adieu de Virginia Woolf

Traduction: Joy Instead




Jeudi

Très cher,

Je suis sûre que je deviens folle une fois de plus. Je sens que nous n'arriverons pas à traverser une autre de ces terribles épreuves. Et je ne m'en relèverai pas cette fois. Je commence à entendre des voix, et je ne peux plus me concentrer. Alors je fais ce qui me semble la meilleure chose à faire. Tu m'as donnée le plus grand bonheur possible. Tu as été en chaque cas tout ce que l'on pouvait être. Je ne crois pas que deux personnes auraient pu être plus heureuses jusqu'à ce que cette terrible maladie surgisse. Je ne peux lutter plus longtemps. Je sais que je gâche ta vie, que, sans moi, tu pourrais travailler. Et tu le feras, je le sais. Tu vois, je n'arrive même pas à écrire cela correctement. Je n'arrive pas à lire. Ce que je veux dire est que je te dois tout le bonheur de ma vie. Tu as été totalement patient avec moi et incroyablement bon. Je veux le dire - tout le monde le sait. Si quelqu'un avait pu me sauver, cela aurait été toi. Tout m'échappe, excepté la certitude de ta bonté. Je ne peux continuer à gâcher ta vie plus longtemps.
Je ne crois pas que deux personnes auraient pu être plus heureuses que nous l'avons été.

V.




Virginia Woolf's last letter

jeudi 2 mai 2013

Portrait de Virginia Woolf enfant, songeuse
"Mais la seule vie qui soit passionnante est la vie imaginaire.
Une fois que les roues recommencent à tourner dans ma tête,
je n'ai presque plus besoin d'argent ni de robe, ni même d'un buffet, pas plus que d'un lit à Rodmell ou d'un sofa."

Virginia Woolf, extrait du "Journal d'un écrivain"

lundi 29 avril 2013

Virginia Woolf: "Une Chambre à Soi", incipit

Traduit de "A Room of One's Own"
Traduction: Joy Instead

"Mais, me direz-vous, nous vous avons demandé de parler de femmes et de fiction, qu'est-ce que cela a à voir avec une chambre à soi ? Je vais essayer de l'expliquer. Lorsque vous m'avez demandé de parler de femmes et de fiction, je me suis assise sur les berges d'une rivière et ai commencé à m'interroger sur la signification de ces mots. Peut-être signifient-ils simplement quelques remarques sur Fanny Burney; quelques autres à propos de Jane Austen; un hommage aux Brontës et l'évocation du Presbytère Haworth sous la neige; si possible quelque chose de spirituel à propos de Miss Mitford; une allusion respectueuse à George Eliot; une référence à Miss Gaskell et j'en aurai fini. Mais, à y regarder de plus près, les mots n'ont plus paru si simples. Le titre "femmes et fiction" pourrait signifier, et peut-être avez-vous fait en sorte qu'il signifie: les femmes et leurs façons d'être, ou encore: les femmes et les romans qu'elles écrivent; ou bien: les femmes et les romans écrits à leur propos, ou il pourrait signifier, en quelque sorte, que ces trois acceptions sont inextricablement liées et que vous attendez de moi que je les aborde de cette façon.
Mais, quand j'ai commencé à considérer le sujet sous ce dernier angle, qui semblait le plus intéressant, je me suis vite aperçue qu'il présentait un inconvénient majeur: je ne serai jamais capable d'en arriver à une conclusion, je ne parviendrai jamais à remplir ce qui, je l'accorde, est le premier devoir d'un conférencier: vous confier, après une heure à discourir, une pépite de pure vérité à emmailloter entre les pages de vos carnets et à garder sur le dessus de la cheminée pour toujours. Tout ce que j'étais capable de faire était de vous offrir mon opinion sur un point mineur: une femme se doit d'avoir de l'argent et une pièce à elle si elle projette d'écrire de la fiction; et cela, comme vous le constaterez, laisse irrésolu le grand problème de la vraie nature de la femme et de la vraie nature de la fiction. Je me suis soustraite à mon devoir quant à trancher ces deux questions - les femmes et la fiction demeurent, pour moi, des problèmes irrésolus.
Mais, pour m'amender, je vais faire ce que je peux pour vous montrer comment j'en suis arrivée à ce point de vue concernant la pièce et l'argent. Je vais développer en votre présence, aussi pleinement et librement que possible, le fil des idées m'ayant menée à penser cela. Peut-être, si je mets à nu les idées et préjugés derrière cette assertion, vous découvrirez qu'ils exercent une certaine influence sur les femmes et sur la fiction. Dans tous les cas, quand un sujet est hautement source de controverse - et toute question relative au sexe l'est - on ne peut espérer dire la vérité. L'on ne peut que montrer comment on en est arrivé à tenir l'opinion que l'on tient. L'on ne peut que donner à son auditoire la chance de tirer ses propres conclusions de l'observation des limites, des préjuges et des singularités de celui qui s'exprime. La fiction, ici, contiendra probablement plus de vérité que de fait. De ce fait je propose, usant de toutes les libertés d'un romancier, de vous raconter l'histoire des deux jours ayant précédé ma venue ici - comment, courbée sous le poids du sujet dont vous m'avez chargé les épaules, je l'ai jaugé et l'ai inclus à ma vie quotidienne. Nul besoin pour moi de dire que ce que je m'apprête à décrire n'a pas d'existence; Oxbridge est une invention; ainsi que Fernham; "je" n'est qu'un terme commode pour quelqu'un n'ayant pas d'être réel. Les mensonges couleront de ma bouche, mais il se pourrait que quelque vérité y soit mêlée; c'est à vous de chercher cette vérité et de décider si oui ou non une partie mérite d'en être conservée. Si la réponse est non, vous jetterez le tout dans la corbeille à papiers et oublierez tout cela.

J'en étais donc là, (nommez-moi Mary Beton, Mary Seton, Mary Carmichael ou comme bon vous semble - cela n'a aucune importance), assise sur les bords d'une rivière il y a de cela une semaine ou deux, sous le doux temps d'Octobre, perdue dans mes pensées. Ce joug que j'ai évoqué, "les femmes et la fiction", le besoin d'en arriver à une quelconque conclusion sur un sujet donnant naissance à toutes sortes de préjugés et de passions, courbait ma tête jusqu'au sol. A droite et à gauche, des buissons de toutes sortes, dorés et pourpres, brillaient et semblaient même enflammés. Sur la berge opposée, les sols pleuraient, en perpétuelle lamentation, les cheveux aux épaules. La rivière reflétait ce qu'elle voulait de ciel, de pont et d'arbre brûlant, et, une fois l'étudiant ayant plongé ses rames dans les reflets ils se refermaient, complètement, comme s'il n'avait jamais été là.
L'on aurait pu rester indéfiniment là, perdu dans ses pensées. Une pensée - pour lui donner un nom plus ronflant que celui qu'elle méritait - avait mené sa barque au fil du courant. Elle tanguait de-ci, de-là, minute après minute, entre les reflets et les algues, laissant l'eau la soulever et la noyer jusqu'à ce que - vous connaissez la prise - la matérialisation soudaine d'une idée au bout de la ligne, les trésors d'attention à déployer pour s'assurer qu'elle est bien prisonnière, les précautions à prendre pour l'en extirper. Hélas, étendue sur le sol, comme mon idée semblait petite et insignifiante; le genre de poisson qu'un bon pêcheur remet à l'eau pour qu'il grossisse et soit un jour bon à cuisiner et à manger. Je ne vous importunerai pas avec cette pensée à présent, quoique, pour peu que vous y regardiez de plus près, vous la découvrirez de vous-mêmes au fil de la discussion qui va suivre.
Quelque petite qu'elle fût, elle possédait néanmoins l'apanage mystérieux de son espèce - ayant réintégré sa place dans mon esprit, elle devint d'un coup très excitante et importante; et, tandis qu'elle me titillait et se dérobait, réapparaissant comme un éclair de-ci, de-là, déclencha un tel tumulte d'idées qu'il me fut impossible de demeurer assise tranquille. C'est ainsi que je me retrouvais à traverser un carré d'herbe à toute vitesse. Instantanément, une figure masculine surgit pour m'intercepter. Je n'ai pas compris tout de suite que les gesticulations de cet objet de curieuse apparence, avec son manteau déchiré et sa chemise de soirée, m'étaient destinées. Son visage exprimait l'horreur et l'indignation. L'instinct plus que la raison vint à mon secours: il était Appariteur, et moi une femme; là était le gazon, et là le chemin. Seuls les lettrés et leurs pairs avaient droit d'être ici; pour moi, c'était le gravier. Ces pensées ne prirent qu'un instant. Comme je regagnais le chemin, les bras de l'Appariteur s'abaissèrent, son visage reprit sa quiétude habituelle et, quoique le gazon soit plus agréable que le gravier, il n'y eut pas grand mal de fait. La seule chose que je puisse retenir contre les lettrés et leurs pairs de quelque Université qu'il se soit agi est que, en protégeant leur gazon, roulé depuis 300 ans sans interruption, ils ont forcé mon petit poisson à aller se cacher".