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lundi 6 mai 2013

Un Chemin de Sang: extrait du chapitre 24

Une balle dans la tête…
Encore une fois, cette nuit, Jonathan a revu son père mourir, le crâne transpercé par une balle. Pas de tireur, pas de sang, juste un trou tout rond, tout propre, au niveau de la tempe, et une lente agonie dans les bras de son fils.
Dans sa Dodge rouge-orangée filant à pleine vitesse sur l’autoroute, Jonathan a ouvert les fenêtres malgré le vent assourdissant : il aimerait avoir des courants d’air jusqu’à l’intérieur du crâne, remplacer ses souvenirs par une brise fraîche, sans goût, sans odeurs.
Une balle dans la tête, lui aussi en espère une parfois. Souvent, en fait. Il imagine le tracé de la balle traversant de part en part son cerveau, sans dévier, gentil petit soldat faisant son devoir.
Jonathan a redessiné cent fois le sillon du métal dans sa matière grise, molle, docile. Pas d’éclatement des os du crâne, dans ses fantasmes, pas de chairs brûlées par la balle chauffée à blanc au sortir du canon, pas de jets de sang : juste un joli petit trou et une trace propre comme l’onde d’un caillou dans l’eau. Quand il n’en peut plus, comme aujourd’hui, où il braille une chanson débile par les fenêtres ouvertes de sa voiture parce que son crâne va exploser de remords, il ne peut penser qu’à ça pour le soulager : une balle dans la tête et hop ! Le tour est joué ! Comme par miracle, plus de souvenirs de la mort de son père, plus de rêves relatant pour la centième fois son agonie, plus de culpabilité !
Jolie petite balle, délivres-moi du mal… C’est son credo, depuis des années : alors, pourquoi Jonathan ne s’est-il jamais administré son traitement de choc ? Mais parce qu’il veut souffrir, parce qu’il les aime, ses cauchemars ! Voir et revoir son père mourir à longueur de nuits, penser qu’il aurait dû le sauver, l’aimer plus, jours après jours, c’est ce qui le maintient en vie ! Sa douleur, c’est sa Croix, celle qu’il porte et sur laquelle il s’appuie, respiration après respiration, jusqu’à cette mort qu’il entrevoit comme le début de sa vraie vie.
Pour ne pas oublier qu’il aurait dû être plus proche de son pauvre père et l’empêcher de vouloir mourir, Jonathan a choisi depuis des années de devenir dessinateur pour la police. Dévisager des morts à longueur de journées, entendre de loin en loin les sanglots des familles éplorées le long des couloirs de la morgue, croiser des brancards sur lesquels se dessinent les silhouettes muettes de corps mutilés, déchirés, c’est l’essentiel de sa vie, la vérité de son existence.
Quand, harassé, sceptique, il se penchait sur les pages de papier glacé des livres de la bibliothèque de l’Ecole des Beaux-Arts pour y apprendre, par exemple, la spécificité du « rose de Pompéi » comparé aux autres teintes de la même gamme, il ne voyait déjà qu’eux, les visages muets de douleur, les corps disloqués : un « rose de Pompéi » siérait-il plus à un noyé qu’à un grand brûlé ? Comment rendre la vie aux joues livides de la victime d’un tueur en série cannibale ? Peut-on vraiment se permettre de peindre un joli drapé à la robe en lambeaux d’une femme violée et morte étouffée par son propre sang ?
Comme tout cela aurait prêté à rire, si ça n’avait pas été si réel.
Déjà, des années auparavant, tandis que ses camarades étudiants nantis se gargarisaient des grandes théories de l’Art Contemporain, critiques alors qu’ils arrivaient à peine à pondre, à force de nuits épuisées, de pauvres gribouillis à peine dignes des peintres à la chaîne de la Place du Tertre, Jonathan se meurtrissait à ressasser l’inutilité de sa propre vie au milieu de ces petits cons oisifs.
Son cerveau, pendant la journée, l’étouffait d’images de petits enfants sales cassant des pierres dans des carrières pour payer les dettes ancestrales de leur famille ou prostitués par leurs parents. La nuit, son inconscient prenait le relais et le représentait, lui, Jonathan, écrasant sous sa semelle les mains que lui tendaient de vieilles femmes déguenillées et crevant de faim.
Il avait tenu bon jusqu’au diplôme final, faisant croire à tous que rien ne l’intéressait plus dans la vie que ces Beaux-Arts dont il vomissait jusqu’au nom même, cachant le fait qu’aucun Greco ne valait à ses yeux la moindre croûte de pain dans la bouche d’un mendiant affamé.
Diplômé sans gloire mais sans efforts, il avait alors couru se présenter au concours de recrutement des dessinateurs de la police et, depuis, il peignait ces morts qu’il aimait tant parce qu’ils lui rappelaient son père et lui répétaient que toute douleur ici-bas a une fin.
Echevelé, le corps frigorifié mais le visage écarlate, Jonathan arrête sa Dodge devant les grilles de l’Institution Pénitentiaire.
Il a l’impression d’avoir franchi les barrières invisibles d’un nouveau monde, de mettre enfin les pieds dans la vraie vie : ici, derrière le grillage barbelé parsemé de miradors, les murs de béton gris se renvoient les cris des détenus, des hommes qui ont peur, qui ont fait souffrir, qui pleurent, qui tueraient pour une cigarette. Tout un monde inconnu des étudiants des beaux-Arts, et qui pisserait sans remords sur le plus cher des Renoir en échange d’un steak frites dans un bistrot pouilleux.
Sur le chemin bitumé qui le mène au premier poste de contrôle, Jonathan croise une femme seule, grosse, laide, habillée de rose criard, un cabas à la main. Ses cheveux passés à l’eau oxygénée ressemblent à de la paille séchée en plein champ et rappellent ceux des prostituées de la gare de Glasgow : Jonathan la trouve plus belle que la Vénus de Botticelli. Parce que le regard de la grosse femme lui rappelle que la vie est une vraie saloperie, Jonathan l’aime.
Dans les prunelles de la Joconde, chacun peut voir ce qu’il veut : comme une danseuse de peep-show, elle offre aux voyeurs ce qu’ils viennent chercher. Dans le regard de la femme au cabas, pas de cette soumission aux désirs étrangers, pas de concession aux goûts du jour : sa beauté est réservée à un seul homme. Pour le reste du monde, le même avertissement : la vie est une sale maladie que je traîne jours après jours. Si vous ne voulez pas être contaminés, lâchez-moi !
Arrivé devant le premier garde, Jonathan décline son identité en même temps qu’il sort un semblant de laisser-passer gardé d’une soirée donnée trois mois plus tôt en l’honneur du Sergent Graham. Peu regardant, le surveillant le laisse rentrer.
Etrangement, de l’autre côté de la première ligne de barbelés, l’air semble à Jonathan plus léger, le temps plus lent, plus docile. Il se sent plus libre que jamais au milieu de la grande cour entièrement offerte au ciel assorti au gris du sol.
Les rares personnes à arpenter le béton brut longent les murs, de peur de briser l’harmonie fragile qui semble exister entre le ciel et la terre, dans ce carré gris hors du monde. Jonathan, lui, traverse la cour à lentes foulées régulières, comme un roi se dirigeant vers son trône fend la foule de ses sujets fidèles, le regard droit, le but de son trajet toujours en ligne de mire.
Il se dirige vers la petite masse de gens calmes qui fait la queue au fond de la cour, là où l’on peut deviner que se trouve le deuxième poste de garde, celui qui permet de pénétrer dans le bâtiment rectangulaire qui est le vrai cœur de la prison.
La chaleur des corps des visiteurs, amassés devant la porte étrangement petite de l’énorme édifice, se mêle à la moiteur poisseuse qui s’échappe du bâtiment chaque fois qu’un gardien en ouvre la porte pour y laisser passer, au compte-gouttes, les mères et sœurs des détenus, les avocats, un vieil homme seul.
Jonathan attend, profitant de la tiédeur des corps. Il s’est rarement senti aussi bien. Il évite de se demander si son esprit fonctionne de manière tout à fait saine, qui lui fait préférer la compagnie d’inconnus dans la cour d’une prison à une soirée avec ses amis dans le velours feutré des fauteuils Empire d’un bar chic d’Edimbourg. Comme à chaque fois qu’il commence à douter de sa santé mentale, Jonathan barre le passage à ses pensées en les noyant sous des flots de musique débile. Aujourd’hui, ce sont les stances insipides d’une stupidité entendue à la radio qu’il se chantera en boucle dans sa tête, jusqu’à anéantissement total de ses pensées négatives. Le rythme binaire des chansons à la mode est parfait pour réduire à néant n’importe quelle idée, (la meilleure du monde n’y résisterait pas), Jonathan sait cela depuis la mort de son père.
« Monsieur, je peux savoir pourquoi vous attendez ? »
La voix du gardien l’a fait sursauter. Jonathan avait tourné la tête vers une jolie jeune fille à la moue boudeuse et aux paupières baissées lorsque le surveillant s’est approché de lui. Tandis que la mélopée aux paroles répétées jusqu’à l’écœurement s’évanouit en un instant, Jonathan revient sur terre.
« Je travaille pour la police d’Edimbourg ! Je suis venu voir un prisonnier : Barthélémy Woodrow. J’ai des questions à lui poser. » Il devrait dire qu’il sent une faiblesse dans la représentation qu’il a faite de la victime de ce type, que l’observer à la dérobée l’aiderait peut-être à parfaire son tableau, qu’il sent un manque quelque part, qu’il croit pouvoir identifier en présence de Woodrow, qui, après tout, est celui par qui l’œuvre existe… Il préfère se taire et simplifier les choses que de débiter ces absurdités au surveillant…
« Si vous êtes de la police, vous n’avez pas à faire la queue avec tout le monde. Suivez-moi, je vous prie. »
« C’est à dire que… Je ne suis pas vraiment de la police : je travaille avec elle, plutôt. Ou pour elle. »
« Vous avez une accréditation ? »
Jonathan hésite à ressortir son laisser-passer. Mais comme il n’a pas grand-chose à perdre, et que le coup a marché avec le garde à l’entrée, il se permet d’essayer. Le surveillant qui se trouve en face de lui n’a pas l’air commode, ceci dit, mais, bizarrement, Jonathan se sent comme intouchable dans cette cour de prison offerte aux quatre vents.
« J’ai cela : c’est ce qu’on m’a donné pour venir ici, j’espère que cela conviendra ». Lui qui déteste mentir n’a aujourd’hui aucun scrupule, comme si les premiers symptômes d’une prédisposition à la criminalité l’avaient contaminé en s’échappant de la porte d’entrée de la prison dans un nuage d’air vicié.
Le surveillant en uniforme bleu foncé exhale des vapeurs d’after-shave à chaque mouvement, parfaitement ajusté dans une chemise repassée avec soin, comme si l’hygiène corporelle et l’odeur de la lessive pouvaient forger une armure face à cet univers de relents de cantine et de draps jaunis.
Après avoir inspecté le laisser-passer sous toutes les coutures, il le rend à Jonathan comme il l’aurait fait d’un prospectus publicitaire : « Ce n’est pas suffisant, Monsieur. Je ne sais pas qui vous a donné ce papier, mais il ne vaut pas comme accréditation pour témoigner de votre appartenance à la police. Il me semble qu’il s’agit plutôt du genre de document que l’on peut présenter pour rentrer dans une soirée privée, ou quelque chose comme ça. Qu’en pensez-vous ? »
Les bras croisés sur le torse, les jambes légèrement écartées, le surveillant s’est mis sur la défensive. Jonathan a l’impression qu’il va se jeter sur lui et lui passer les menottes pour avoir voulu rentrer en douce dans la prison ! Eh ! On arrête les gens pour vouloir s’en échapper, de cette geôle, pas pour essayer d’y rentrer, non ?! Quelle blague !
« Oh ! Et bien… Je suppose que j’ai tout de même le droit de rendre visite à ce prisonnier, n’est-ce pas ? Comme tous ces gens qui attendent, non ? »
« Tous ces gens, comme vous dites, ont de la famille à l’intérieur et ont dû préalablement à leurs visites faire établir les preuves de leur identité. Si vous êtes apte à faire la même chose, et si vous pouvez me prouver votre collaboration avec la Lothian and Borders Police - puisque le détenu que vous souhaitez rencontrer ne fait pas partie de votre famille, n’est-ce pas ?…- »
« Non, bien sûr ! »
« Pourquoi « bien sûr » ? »
« Mon Dieu, parce que… Je ne sais pas ! » Les oreilles de Jonathan commencent à rougir, premier signe du fait qu’il se sent pris en défaut. Pourtant, tout lui semble si irréel, si léger ! Où a-t-il déjà vu ce genre d’interrogatoire ? Dans un film, évidemment ! Tout défile comme sur un écran blanc devant ses yeux, depuis qu’il a quitté sa voiture ! Encore deux minutes et le type en face de lui va arracher son masque de gentil-gars-qui-joue-au-gros-dur-parce-qu’il-est-gardien-de-prison et : oh ! Jim Carrey !
« Monsieur ? Vous m’écoutez ?! »
Jonathan étouffe un rire nerveux : « Pardonnez-moi ! Je vous écoute. Dites-moi ce que je dois faire pour rendre visite à ce monsieur Woodrow ! C’est vraiment important ! » Si le film doit continuer, autant se mettre dans la peau du personnage : « mon travail implique que je pose certaines questions à cette personne. Barthélémy Woodrow est le principal accusé dans une affaire criminelle qui occupe toutes nos forces de police depuis plusieurs jours. L’interroger me permettrait de recueillir des éléments essentiels à l’avancée de l’enquête. Vous comprenez, n’est-ce pas ? »
« Vous me permettrez donc de téléphoner aux responsables du bureau pour lequel vous travaillez à Fettes Avenue afin de m’assurer de la véracité de vos dires,  dans ce cas-là. »
« Très bon acteur, ce gars…», se dit Jonathan. « Bonne intelligence du texte, d’un naturel désarmant… Ceci dit, aucun mérite : il connaît son rôle depuis bien plus longtemps que moi ! »
« Bien entendu ! », reprend le jeune homme à voix haute. « Vous pouvez demander l’inspecteur Kyle, si vous voulez bien. »
« L’inspecteur chef Kyle a quitté notre établissement il y a à peine une demi-heure. Je doute qu’il soit déjà revenu à son bureau… Il a demandé à voir Barthélémy Woodrow. Vous comprendrez donc que je m’étonne que vous désiriez rendre visite à ce détenu : pourquoi ne pas avoir accompagné votre supérieur ? Vous ne saviez pas qu’il venait ? »
Jonathan commence à trouver le film un peu long… Qu’est-ce qu’il peut savoir des allées et venues de l’inspecteur chef Kyle? A l’heure où l’inspecteur arrivait au bureau, Jonathan, lui, peinait toujours à quitter son lit… Evidemment, ce n’est pas le genre de choses à dire à cette star à la petite semaine, qui le dévisage comme s’il venait de découper sa petite sœur en morceaux, mais, tout de même : personne n’aurait-il pu penser à lui faire lire le scénario avant ?
« En effet, il arrive que L’inspecteur chef Kyle fasse des choses sans m’en avertir ! Bon ! Appelez donc qui que ce soit d’autre au bureau, et je suppose que nous pourrons trouver une solution rapide et que je pourrais commencer à bosser ! »
« C’est cela… D’autant plus que les visites prennent fin dans moins d’un quart d’heure… Ce que vous auriez su si vous vous étiez un peu mieux préparé à venir dans notre établissement aujourd’hui… Eh bien, je vais vous demander d’attendre ici un instant pendant que j’appelle un de vos supérieurs. Vous voulez bien me confier votre carte d’identité, je vous prie ? »



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Un Chemin de Sang, roman policier en français
Un Chemin de Sang: incipit.
Un Chemin de Sang: extrait du chapitre 23
Un Chemin de Sang, les personnages: Fraser, le maître.
Un Chemin de Sang, les personnages: Woodrow, le disciple.

Un Chemin de Sang: extrait du chapitre 23

Barthélémy S. Woodrow Jr., les mains derrière la tête, couché sur son matelas, regarde passer au plafond de sa cellule les armées de l’Ordre Nouveau.
Harnachés d’argent, les soldats des Temps à Venir défilent, fantômes brillants foulant des champs d’un vert aveuglant sur le fond gris sale de plâtre écaillé.
Sourire aux lèvres, le prisonnier immobile admire les troupes en marche riant et chantant pour lui seul tandis que, dans la prison, résonnent le cliquetis des gamelles à l’approche de l’heure de midi, les injures des détenus et les menaces des gardiens.
« Pleurez, jurez, criez !… L’heure est bientôt venue où vous regretterez vos bassesses ! Dans quelques jours, dans quelques heures, vous vous maudirez de n’avoir pensé qu’à vos ventres insatiables, à votre fichu sommeil, à vos instincts de porcs ! Je vous aurai prévenu, mais vous n’avez pas voulu m’écouter : au moment de mourir, implorant et gémissant, vous regretterez d’avoir couvert mes paroles ! Une dernière fois, je vous le demande : vous repentez-vous devant le compagnon du Maître de l’Ordre Nouveau ? » Woodrow, inconscient du fait que sa mise en demeure n’a pas franchi les barrières de son propre crâne, attend une réponse qui, comme toutes les autres, ne viendra jamais. Communiquant silencieusement avec celui qu’il attend, le Sauveur, Woodrow est désormais convaincu que le monologue intérieur est la seule manière de dialoguer possible, et trouve même dommage de n’y avoir pas pensé plus tôt : toutes ces années à se casser la tête à chercher les mots justes, hausser le ton pour se faire entendre, toujours se faire couper la parole… Maintenant, fini de faire des efforts pour rien : plus de grandes gueules pour vous faire taire, plus de saintes-nitouche pour prendre un air outré parce qu’on n’a pas employé exactement le bon mot à la bonne place ! La communication d’esprits à esprits est quasiment une communion, et permet de faire le tri entre le bon grain et l’ivraie : y répondent les esprits supérieurs, et de ce fait élus par l’Ordre à Venir. Quant aux autres, leur surdité les condamne à périr irrémédiablement !
Quel soulagement que de savoir dès à présent avec qui on va se partager le monde, à l’avenir !
Ces derniers jours en prison ont permis à Woodrow de savoir que personne autour de lui n’allait le suivre aux côtés du Maître et, à son égal, faire partie du monde de demain. Dans son esprit, il n’a entendu que la voix de son Sauveur, (le Sauveur de l’Humanité nouvelle !), qui lui répondait.
Se pourrait-il que lui seul, petit homme infirme en comparaison de la grandeur de Celui que le monde attend, ait été choisi pour seconder le Maître ? Non, bien sûr, il le sait en contemplant les armures brillantes des soldats qui défilent au plafond de sa cage de béton : l’armée du Rédempteur est infinie ! C’est qu’elle doit être au moins aussi puissante que la foule des ignorants pour écraser toutes ces mesquineries et cette stupidité crasse qui règnent encore sur la terre… Demain sonnera l’heure où les imbéciles s’étoufferont dans leurs propres sanglots, implorant pitié, s’excusant de n’avoir pas répondu à l’appel de la voix intérieure. En attendant, Woodrow continue d’invectiver ceux qui l’entourent, les sommant de répondre à ses appels silencieux avant la venue du Bienfaiteur, qu’il sent de plus en plus imminente.
« Woodrow ! De la visite ! Levez-vous ! »
« Ne prends pas cet air agressif, pauvre homme ! » Sans prononcer un mot, le prisonnier s’adresse au gardien en le fixant d’un regard d’inquisiteur résistant à la tentation de la pitié. « Savoir que tu es condamné ne te donne pas le droit de te venger sur moi ! Comme je te plains ! Non, je ne te sauverai pas, il n’y aura pas d’exception… Tu peux pleurer, tempêter, frapper, je ne t’accorderai aucun privilège ! Il ne te reste qu’à te repentir… C’est pour ton bien que je te dis cela…»
« Approche ici ! Dos aux barreaux, les mains derrière le dos ! »
« Tu aimerais que ta voix tonne jusqu’à couvrir tes sanglots intérieurs, mais j’entends tout ! L’heure n’est pourtant pas encore aux larmes : demain sera pour toi encore bien pire qu’aujourd’hui, alors garde tes forces, tu en auras besoin… » Le prisonnier obéissant colle son dos aux barreaux d’acier froid, sans un bruit. La tête basse, on le croirait en pénitence : il songe qu’il aimerait pouvoir en sauver un, rien qu’un, de ces pauvres diables promis à la mort, parce qu’on est peut-être un plus grand chef quand on montre de la miséricorde, non ?
Mais non, quelle mascarade ! Pas la peine de feindre la pitié, il n’y croit pas lui-même ! Vivement l’anéantissement de tous ces petits esprits seulement capables de minuscules vilenies : songeant qu’il s’est bien amusé, l’espace d’un instant, à singer le Pardon, il ricane doucement, dos à son geôlier. « Mais Dieu que ce monde est stupide ! Celui-là, qui croit être fort parce qu’il a une arme à la ceinture et dans les mains un trousseau de clefs, celui-là croit que je le crains et, pire ! pense même peut-être que je l’envie ! Je lui ferai voir, au dernier jour : sous la semelle de mes chaussures je le maintiendrai, et jusqu’à son dernier souffle je le laisserai m’implorer ! Au moment où il croira qu’enfin je vais le sauver, je l’écraserai et ferai craquer ses os en sifflotant, avant de passer au suivant ! »


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Un Chemin de Sang, roman policier en français
Un Chemin de Sang: incipit.
Un Chemin de Sang: extrait du chapitre 24
Un Chemin de Sang, les personnages: Fraser, le maître.
Un Chemin de Sang, les personnages: Woodrow, le disciple.

vendredi 5 avril 2013

Incipit

"Bien qu’immensément riche, Fraser avait toujours su que son argent ne le protègerait pas éternellement de la mort. Non que sa fortune lui eût attiré l’inimitié des envieux, bien au contraire : le milliardaire avait bâti sa vie et son pécule sur la certitude que la discrétion est le meilleur moyen d’éloigner de soi la menace d’une mort prématurée.

Il maniait depuis toujours les millions de son héritage en silence, les investissant dans des placements au creux desquels ils proliféraient sans bruit, étendant des ramifications délicates jusque dans les banques mondiales où des employés en gants blancs les couchaient sans heurts dans des coffres aux portes d’acier discrètement poli.

Jamais, de sa vie, Fraser n’aurait osé faire un placement malhonnête : il avait si peur du scandale qu’il aurait préféré perdre 100 millions en silence que d’en récolter 10 avec fracas.

Ainsi vivait-il, sans peur d’un mauvais coup ni d’être trahi par ses amis, puisqu’il n’en avait pas, et, tous les soirs, c’est sur la pointe des pieds qu’il fermait les 19 portes des 19 pièces de son manoir autrefois anglais mais démonté pierres par pierres et acheminé sans bruits des années auparavant dans ce coin du Maine qu’il appréciait tant pour sa neutralité, seul, à l’abri des tumultueuses amours et des enfants criards.

§§§

En ce matin du 3 Avril, Fraser se mit à songer à sa mère, comme il lui arrivait aussi quelquefois de repenser au chien qu’il avait tué un mois auparavant car il aboyait trop : comme ils auraient pu vivre heureux ensemble, sa maman et lui, dans le beau manoir, à l’abri de tout, si la vieille femme n’avait eu la stupide habitude de se lier d’amitié avec n’importe qui…

Fraser se prenait souvent à rêvasser qu’il était né orphelin de mère, élevé par Papa seul - le cher homme ! - dans le saint respect de la propriété privée et la crainte absolue de toute fréquentation… Hélas, puisqu’il ne pouvait en être autrement, le milliardaire avait dû envoyer cette femme trop cordiale à 6000 km de là, en Floride, dans ces résidences ultra sécurisées pour personnes d’un certain âge dont les enfants ont tous fait fortune sans bruits.

A ce moment-là de ses rêveries, Fraser sursauta en entendant résonner le cri strident de la sonnette délaissée du portail de l’entrée : il se réjouit une fois de plus d’avoir fait installer partout des caméras de surveillance pour protéger son intimité, et reconnut sur les images du petit écran de la cuisine, (le même qui figurait dans chaque pièce du manoir), une camionnette de jardinier.

Il en eût une petite moue agacée, comme à chaque fois que quiconque paraissait dans son champ de vision. Néanmoins, le premier dégoût passé, il dût bien de résoudre à ouvrir au jeune homme qu’il avait lui-même mandaté pour s’occuper du parc dont le superbe gazon anglais à la beauté feutrée menaçait de dégénérer en chiendent.

« Attendez un instant ! », dit-il au jardinier par l’interphone, « je termine quelque chose et je vous ouvre ! »

Un œil toujours rivé sur l’image du moniteur, Fraser attrapa son téléphone d’une main et son répertoire de l’autre : il avait toujours jugé prudent de s’abstenir d’enregistrer sur son portable les numéros des rares personnes avec lesquelles il n’avait d’autre choix que d’être en relation, craignant que le téléphone ne soit volé par un de ces malfaisants qui couraient les rues, et qui en auraient profiter pour raconter des atrocités en son nom.

Ayant composé le numéro de l’agence de services chargée d’envoyer le jardinier, et une fois les vérifications faites auprès du directeur lui-même quant à l’identité du jeune homme qui, patiemment, attendait toujours devant le discret portail qui protégeait l’entrée de l’immense domaine, Fraser, poussant un soupir de dépit, n’eût plus qu’à se résigner à ouvrir à cet intrus qu’il avait lui-même invité.

Suivant sur les écrans l’avancée de la camionnette le long de l’allée centrale bordée de persistants toujours fournis, et chacun équipé d’une caméra panoramique, Fraser vit le jeune homme se garer sur le sol de terre battue de la surface duquel avait été bannie toute trace de gravillons, jugés trop bruyants.

Descendu de voiture, le jeune homme ne perdit pas le sourire lorsqu’il ne reçut qu’un froncement de sourcils en réponse à son « Bonjour, Monsieur ! », non plus que lorsque le milliardaire fit semblant de ne pas voir sa main tendue. Il ne commença de s’étonner qu’au moment où, demandant quelle partie du parc il se devait de traiter en priorité, il constata que son interlocuteur gardait la bouche résolument fermée. Le jardinier ne peut pas savoir que, dans le crâne de Fraser, se sont mises à rugir des vagues déchaînées de panique, à gronder un raz de marée déclenché par une seule obsession : se débarrasser de lui au plus vite !

Depuis qu’il a dû se résoudre à ouvrir le portail, le milliardaire a entrevu 100 000 cauchemars nés de la seule intrusion d’un être vivant entre les murs invisibles de son univers clos.

Ce soi-disant directeur qu’il vient d’appeler, à l’agence, n’est-il pas déjà en train de raconter à toutes les secrétaires qu’un de leurs employés tond la pelouse chez un sale richard, (comme les gagnepetits appellent ceux qui ont réussi) ? Les traînées vont s’empresser d’aller répéter ça au bistrot du village, où elles retrouvent tous les soirs tous les pue-la-sueur du Conté qui, pauvres et sans scrupules, ont toujours rêvé de cambrioler le manoir ! Le jardinier partage bien sûr le lit d’une des filles et fait exprès de lambiner dans son travail pour avoir à revenir le lendemain : cette fois-là, il amène avec lui une de ces filles qu’il veut lui coller dans les pattes, à lui, Fraser ! Elle cherche à lui faire dire où est l’argent, dans quelles villes ses comptes en banque ? Sous quels numéros ? Quelles combinaisons pour ses coffres ? Et si elle osait le demander, (mais, bien sûr, elle ose !), est-ce qu’il ne veut pas ouvrir une assurance-vie à son nom à elle, qui saura être très gentille pour le remercier ? Une fois l’assurance vie signée, la suite coule de source: l’agence de services toute entière n’est qu’une façade et, une fois le riche assassiné, la fille récupère l’argent de ce pauvre homme, partage avec les complices, (le soi-disant directeur, le soi-disant jardinier, et tous les autres !), et chacun peut dès lors jouir à loisir de l’immense fortune acquise, pourtant, à force de mérite. La prétendue agence de services existe depuis quelques mois à peine et voilà qu’elle regorge déjà de jardiniers, de gardes d’enfants, et même d’employés de maison, des gens que vous payez pour voler chez vous dès que vous avez le dos tourné !

Fraser ne va pas se laisser faire comme ça, et certainement pas par une petite garce, lui qu’aucune femme ne peut se vanter d’avoir connu : ce type en face de lui, sur le perron de son propre manoir, prétend venir tondre la pelouse mais il commence par vouloir lui serrer la main, dire bonjour et faire la conversation… Il va, bien entendu, demander à s’asseoir pour discuter, et à rentrer dans la cuisine, à l’ombre, parce qu’il commence à faire chaud, puis il voudra boire un verre, deux, trois…, dans le but de saouler l’homme riche - celui qui a réussi et qu’il jalouse – pour lui asséner un mauvais coup en faisant croire qu’il s’est cogné tout seul parce qu’il était ivre, mais, à la fin de la journée, il n’hésitera pas à demander à être payé pour sa journée, et avec le consentement du directeur de l’agence de services, par-dessus le marché, puisqu’ils sont tous de mèche !!!

Fraser peut-il sérieusement accepter ça ? Lui qui a passé toute son existence à la cacher peut-il se résigner à accepter son sort alors qu’il sait pertinemment ce qui va se passer ?

Tandis que le jardinier commence à trouver le temps long devant ce monsieur aux sourcils froncés qui le scrute avec l’air de ne pas le voir, et qu’il sort des outils de sa camionnette, Fraser avise la bêche posée en équilibre contre la portière de l’engin. La propreté rutilante de l’outil lui fait penser que, vraiment, ces truands ne sont pas bien malins : un peu de terre sur l’acier aurait rendu plus crédible ce faux jardinier ! Qui comptent-ils berner avec cette pelle volée de la veille dans un petit magasin de jardinage et ce râteau brillant comme un accessoire de théâtre ?

De penser que de sinistres imbéciles peuvent croire que lui, Fraser, va gober une entourloupe si grossière le rend malade de colère ! Il attrape l’outil et, d’un coup sec, en fracasse le crâne du jeune homme qui s’affale dans un bruit mat sur la terre battue.

Fraser repense alors au chien qu’il a tué un mois auparavant et se souvient qu’il a hurlé, lui, juste avant de mourir ; il sait aussi qu’un chat se débat avec fureur quand on l’étrangle ; il se souvient des convulsions d’agonie des pigeons qu’il a empoisonnés à cause de leurs fientes dégoûtantes sur le balcon de la petite chambre du premier étage…

Calme de nouveau, le milliardaire reprend son souffle en regardant à terre le corps inoffensif de son ennemi imaginaire, tandis que quelques gouttes de sang coulent lentement sur l’acier rutilant de l’outil."
La suite sur Amazon.fr !


Un Chemin de Sang, présentation
Un Chemin de Sang, les personnages: Fraser, le maître.
Un Chemin de Sang, les personnages: Woodrow, le disciple.

dimanche 31 mars 2013

Un Chemin de Sang, roman policier en français


Couverture de mon livre Un Chemin de Sang

Fraser,

multimillionnaire américain reclus dans son immense demeure du Maine,

découvre qu'il prend plaisir à

assassiner de parfaits inconnus.


Dès lors, il en fait le but de sa Mission: débarrasser les "médiocres" de cette vie ordinaire qui leur pèse même s'ils n'en ont pas conscience, et

instaurer un Ordre Nouveau sur la terre

enfin purgée de ceux qu'il considère comme des parasites.

Un meurtrier s'évadera de prison pour suivre sa trace, voyant en lui le Sauveur à la droite duquel il rêve de siéger lors de

l'avènement de la Nouvelle Humanité.


Deux enquêteurs

les rejoindront le long de ce chemin de sang qui les aura menés jusqu'en Europe, aidés dans leur quête par une adolescente et guidés par un entrelacs de signes et de liens ténus.

Moi qui l'ai écrit ai du mal à classer "Un chemin de sang" dans la catégorie des "thrillers" plus que dans celle des

"romans policiers" ou "romans noirs":



- Les meurtres y sont décrits de manière crue car étant

le fruit d'esprits violents et de volontés perverses

, mais sans la débauche de détails que l'on retrouve dans bon nombre de thrillers.

- Le livre n'est pas l'écrin d'un seul et unique personnage central autour duquel graviteraient des faire-valoir secondaires, comme dans la plupart des romans policiers, (un enquêteur ou, plus rare, un tueur traversant les tomes), mais de nombreux protagonistes possédant chacun une identité et une psychologie propres.

- J'ai naturellement tendance à décrire en détails les lieux, paysages..., ce qui est plutôt du ressort d'une écriture "classique" que du polar...

Bref, les curieux pourront

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Un Chemin de Sang, extrait: incipit.
Un Chemin de Sang: extrait du chapitre 23
Un Chemin de Sang: extrait du chapitre 24
Un Chemin de Sang, les personnages: Fraser, le maître.
Un Chemin de Sang, les personnages: Woodrow, le disciple.